L'histoire est courte. L'écriture est simple. La plume est agréable. Dans ce roman, Doris Lessing raconte la rencontre d'une jeune fille noire, Victoria, avec la famille Staveney. Elle les aperçoit petite, à l'âge de neuf ans plus précisément, et les découvre plus grande avec, dans les bras, une fille de six ans née d'une relation avec un des fils de la famille. Comment vont-ils réagir à cette nouvelle? Vont-ils accueillir la petite fille? L'histoire, comme constatée, n'a rien de compliqué. Elle est d'une grande simplicité voire d'une belle banalité. Mais elle serait, dit-on, prétexte pour évoquer et dénoncer l'hypocrisie sociale. Bien, mais laquelle?
Je dois ainsi avouer que je n'ai pas véritablement compris quelle hypocrisie il fallait fustiger. Quelques commentaires ont évoqué les "préjugés raciaux" de la famille Staveney. Mais comment s'expriment-ils? Certes, on retrouve des comportements qui peuvent ressembler à des poncifs. Pour l'un, Edward, le "Noir" est un être qu'il faut sauver de la misère, sur lequel il faut s'attendrir en raison de l'Histoire tragique subit quand pour l'autre, Thomas, la "Noire" est d'une bestialité à savourer. Mais sinon? C'est déjà beaucoup me diriez-vous sans doute. Oui mais non, vous répondrais-je car cette famille, malgré ses petits travers, ne semble pas si mal s'en tirer. Des poncifs, on en a tous. Souvent malgré nous. Et pour ma part, ils ne font pas de mal tant qu'ils ne servent pas à justifier l'impardonnable et l'inacceptable, tant qu'ils n'empêchent pas la relation à l'autre. Or, que sont les torts de cette famille?
Ils n'auraient pas invité Victoria à leurs différentes sorties, disent-ils. Bien. Et alors? Sont-ils obligés d'intégrer la jeune femme dans leur famille, elle qui vient leur annoncer l'existence d'une petite fille six ans après sa naissance et qui n'est pas engagée à leur fils? Pourquoi le feraient-ils? Au nom de quoi? De sa couleur de peau? L'acceptation de l'enfant suffit, pour le reste ils ne sont obligés de rien. La couleur de la peau ne suffit donc pas à crier au préjugé racial. De même, autre argument, la famille n'inviterait jamais le second fils de Victoria, issu d'une autre relation. Pour la seconde fois, et alors? En quoi la famille est-elle obligée d'avoir des relations avec le second enfant de la mère qui, par ailleurs, ne l'amène jamais en raison de son caractère sauvageon? Cet enfant ne fait pas parti de la famille, à son égard ils n'ont aucun devoir. Mais comme il est plus noir que sa soeur, il faut forcément crier au racisme? Sérieusement, dire qu'il y a là un préjugé raciste c'est vraiment avoir un problème avec la notion de racisme. Certes, elle est difficile à cerner et à prouver mais de là à la voir partout, il ne faut pas exagérer.
Plus qu'une critique de l'hypocrisie sociale, c'est donc une analyse sociologique que j'ai cru percevoir dans ce roman. Pour moi, Doris Lessing évoque les conséquences de la tragique Histoire qui continue à entraver les relations entre "Le Blanc" et "Le Noir". C'est pour la famille Staveney la peur de mal se comporter avec Victoria qui accueille de ce fait leur bienveillance. C'est pour Victoria une suspicion permanente, se voyant toujours "Noire" à leurs yeux, expliquant, de ce fait, toutes leurs décisions et leurs comportements comme une conséquence de sa couleur de peau. Comment ne pas noter l'intelligence du propos? On le voit au sein de nos sociétés. Les "dominants" (au sens historique) ont du mal à prouver leur sincérité à l'égard des "dominés" qui se pensent, à leurs yeux, toujours "essentialisés". Aider le "dominé", on dénoncera votre condescendance, votre paternalisme et/ou votre hypocrisie. Opposer lui un refus, on évoquera votre racisme et vos préjugés. On ne sait plus que dire, que penser, comment se comporter de peur de blesser ou d'être accusé(e). Le racisme est partout et nul part à la fois. Les relations sont si tendues, le flou est si marqué qu'il est aisé de crier au racisme quand il n'est pas et de ne pas le voir quand il y est. Française d'origine étrangère, je vois comment les gens ont du mal à parler normalement avec moi de certains sujets, prenant milles pincettes pour ne pas me blesser alors qu'il n'y a pas de quoi. Je vois comment certain(e)s voient dans tout refus opposé au "dominé" l'existence d'un racisme invétéré. Et je vois, dans cette ambiance délétère, persister les véritables racismes et les inexcusables humiliations. Alors qu'est-ce que le racisme? C'est la question que pose, entre autre, pour moi, cet agréable roman.
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