Et si l'on imaginait un monde sans livre? Un monde où il n'y a plus de réflexion, plus de question, plus d'interrogation? Un monde sans doute, sans hésitation? Un monde de plaisirs et de bonheurs, de contentement de soi? C'est ce monde qu'imagine, ici, Ray Bradbury. Il raconte, en effet, une société où le livre n'est plus, où les idées n'existent plus, où le temps de la réflexion n'est pas autorisé, pas favorisé. Il écrit une communauté qui lutte contre la pensée, source pour elle, de maux et de tracas qu'elle ne veut certainement pas. Et ce au nom du bonheur, qu'elle a cruellement appauvri en vérité, la distraction ne suffisant pas à faire la joie.
Il y a du bonheur à penser, nous dit Ray Bradbury. Le doute peut blesser, il peut déboussoler, il peut malmener l'esprit qui pense, certes. Penser, réfléchir, questionner suppose l'incertitude, un inconfort; suppose d'embrasser les chemins de la complexité et de la difficulté; les efforts et la fatigue; la perte d'énergie et parfois le désespoir, certes. Mais l'esprit qui pense sait bien que de ce mal peut sortir le plus grand bien. C'est la joie du questionnement, de la découverte. C'est l'amour intense de la Vérité qu'on essaye d'approcher. C'est le bonheur du chercheur, de la quête. C'est le bouillonnement intellectuel qui donne au cœur et au corps une énergie, un sens aussi à la vie. C'est aussi le délice du partage, de la transmission à travers l'échange oral ou écrit. C'est l'ivresse de la confrontation, du débat, de la communication avec l'autre qui dit son accord ou son désaccord. C'est, enfin, pour finir, le départ pour l'action, pour une intervention sur la réalité que l'on veut toujours améliorer - pour sauvegarder ses intérêts lorsqu'on est plus attaché(e) au domaine privé, pour aider la collectivité lorsqu'on se lie à l'intérêt général. Autant de bonheurs qui disparaissent lorsque la société n'autorise et/ou ne permet plus les idées, leurs transmissions et leurs confrontations.
Fahrenheit 451 critique son époque, et à plusieurs égard, la nôtre aussi. C'est aujourd'hui l'absence d'intérêt pour la complexité, c'est l'abandon de la question, c'est le désintérêt - de plus en plus manifeste - pour le livre et, plus encore, pour la réflexion. La philosophie est raillée - jugée inutile et bien futile, les intellectuels dignes de ce nom ne sont pratiquement plus (sur l'espace médiatique j'entends), plus personne pour poser les questions existentielles, les connaissances sont de plus en plus nombreuses, les informations circulent à un rythme effréné mais qu'en faire? La quantité prime sur la qualité; la satisfaction égoïste des plaisirs, la distraction valent mieux que l'ennui ... on ne sait pas s'ennuyer, on ne sait pas se distraire, se trouver un temps pour la réflexion. On court après un bonheur que l'on rate à tout les coups car, aveugle, on ne sait pas qu'il est tout près de nous voire même en nous.
Penser c'est souffrir, oui, en effet. Mais ne pas le faire, c'est mourir. Ray Bradbury nous aura prévenu.
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