Elles sont noires ses noces parce qu'elles lui ont été imposées. Elles sont sombres et tristes parce qu'elle ne voulait pas se marier avec celui qui l'a capturée. Elle, c'est Gulizar, une adolescente arménienne qui habite un village près de Muş (Mouch en arménien). Lui est chef d'une puissante tribu kurde qui agit sans foi, ni loi; un brigand qui n'hésite pas à tuer celles et ceux qui ne servent pas ses intérêts: parmi eux, les arméniens qu'il est à l'époque bon d'assassiner ou de convertir par voie forcée. Par un malheureux soir de printemps en 1889, l'homme capture celle qu'il avait remarqué et qui lui avait été refusée. Il réussit à avoir Gulizar, cette jeune adolescente qu'il viole et marie ensuite à son jeune frère. Gulizar est forcée à la conversion, elle doit devenir kurde, donc musulmane mais la jeune fille, au sens de l'honneur aiguisé, refuse. Elle veut rester arménienne, donc chrétienne. Rusée et de grande volonté, elle réussit à échapper à ce sort qui lui a été imposé. Il faut voir comment et avec quel talent.
Ce livre n'est pas un roman. Il est un témoignage vivant; un témoignage porté par Arménouhie Kévonian, la fille de Gulizar; un témoignage bienvenu qu'il faut lire pour savoir la vie des arméniens au temps de l'empire ottoman. Ceux de Muş ont souffert. Ils ont subis ces chefs de tribus kurdes qui éprouvaient une haine pour les arméniens, n'ayant pas de mal à les piller, les violenter, les capturer, les assassiner; le tout dans l'impunité, soit que les autorités ne parvenaient pas à les arrêter, soit qu'elles leur accordaient une immunité. Et on voit là se dessiner la mécanique de la violence qui sera plus tard versée sur les Arméniens victimes de génocide. Heureusement, on voit autres choses dans ce récit: des élans de solidarité et de fraternité entre les Kurdes et Arméniens qui souffraient ensemble de la violence de certains chefs de tribus. On voit des gens qui n'avaient pas de mal à parler la langue de l'Autre - les Kurdes pouvant maîtriser l'arménien et les Arméniens le kurde. On découvre un peu de cette vie enfermée dans le passé: une hiérarchie sociale, un vivre-ensemble, une cohabitation parfois heureuse, parfois malheureuse entre gens de confessions différentes. Par son témoignage, Gulizar nous laisse ainsi les traces de ce qui n'est plus, de ce qui a été détruit, abîmé, pratiquement oublié. Elle nous laisse imaginer la vie sous l'Empire ottoman, nous invite à penser la complexité de la question arménienne, les Arméniens ayant été accusés de traîtrise par les autorités parce que faisant, entre autres, l'objet d'une attention et d'un soutien tout sauf désintéressé de la part des puissances étrangères qui n'avaient pour véritable intention que le démantèlement de l'Empire ottoman. Le sort des Arméniens n'était en effet, pour eux, qu'un prétexte pour réaliser leurs ambitions politiques, l'Histoire ayant apporté les preuves de leur manque de sincérité et d'intérêt pour le peuple arménien. Celui-là était pris en tenaille: vivre soumis et dans le silence pour se faire oublier des autorités dont ils craignaient la colère et l'injustice ou payer le prix de leur révolte. Dans les deux cas, malheureusement, c'est le même sort qui leur a été infligé.
Ce livre est à conseiller pour ce qu'il est: un retour émouvant dans ce passé qu'il ne faut surtout pas oublier. Dommage, toutefois, qu'il soit court. Je l'aurais aimé plus long et détaillé.
Ce livre est à conseiller pour ce qu'il est: un retour émouvant dans ce passé qu'il ne faut surtout pas oublier. Dommage, toutefois, qu'il soit court. Je l'aurais aimé plus long et détaillé.
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