Comme beaucoup d'Etat-Nation, la Turquie s'est créée à coup de forces et de répressions. Elle a dû se débarrasser de ceux qui la contestaient tant. Ils sont ennemis étrangers - découpeurs de l'Empire ottoman - ou sujets récalcitrants - grecs, arméniens et kurdes. Echange de population avec la Grèce, génocide arménien, massacre et assimilation des Kurdes, la Turquie, pour se créer, n'a pas eu peur de voir en grand. Elle n'a pas hésité à tuer par milliers pour réaliser son grand projet; une union nationale entre gens qui se ressemblent: turcs et musulmans.
C'est un de ces massacres que nous raconte Hüseyin Yildirim. C'est le massacre de Dersim dit Tunceli en Turquie. Région kurde alévie, Dersim n'a pas su résister à l'horreur qui l'attendait; horreur décrétée par Atatürk lasse de lutter contre les tribus kurdes opposées à son projet - tout sauf dans leur intérêt. Dersim n'a pas su se protéger. Elle a laissé entrer ces militaires à la langue étrangère, elle a laissé ces ennemis massacrer le pays. Les villages sont détruits, les hommes sont rassemblés et fusillés, les femmes sont tuées après avoir été violées, les enfants sont aussi visés. Les petites-filles sont, elles, parfois "épargnées". On préfère les confisquer au lieu de les envoyer à la mort, en effet. Dersim a été touché. Les montagnes sacrées n'ont pas su protéger ses enfants abandonnés. Son fleuve a vu les corps défiler et le sang s'écouler. En silence et presque en secret. La Turquie a voulu oublier avant de se remémorer et les Kurdes dersimis se sont tus à jamais pour la grande majorité. Ema Lenge, cousine de l'auteur, a refusé. Elle s'est confiée à cet avocat tout droit sorti des "célèbres" geôles de Diyarbakir. Elle lui a raconté ce que d'autres peinent à évoquer.
J'ai mis du temps à ouvrir ce témoignage. Je ne voulais pas voir les détails de ce que je pouvais déjà imaginer. Je refusais de voir, écrit, la dure réalité que mes ancêtres ont endurée. Oui, Dersim est mon pays; ou plutôt celui de ma famille. J'y suis née mais n'y ai jamais grandi. Je sais son passé mais les détails restent enfouis dans le secret. Quelques anecdotes sont lancées - cocasses parfois; c'est qu'ils préfèrent ne pas pleurer cette tragédie qui hante la passé. Moi non plus, je ne voulais pas pleurer. Alors je refusais d'ouvrir ce livre. Je m'y suis forcée et rien y fait, j'ai pleuré. J'ai imaginé ce que mes ancêtres avaient connu. J'ai repensé aux anecdotes qu'on m'avait racontée. Et les larmes ont coulé; pour mes ancêtres qui ont souffert du passé et pour mes compatriotes kurdes qui continuent de subir l'horreur, ailleurs au Kurdistan.
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