Que dire? J'étais curieuse de lire l'ouvrage, en langue turque au départ. Traduit en français, je me suis finalement dirigée vers la bibliothèque pour l'emprunter. Résultat des courses, j'ai bien fait de ne pas l'acheter car il ne mérite pas les éloges qui lui sont faits. Qu'apprend-t-on, en effet? Que l'armée turque sert à affirmer la virilité de l'homme qu'elle veut parfait pour les bienfaits de la société dite patriarcale; qu'elle modèle le sexe masculin selon les stéréotypes partout véhiculés; qu'elle impose la violence et l'humiliation; qu'elle fonctionne à partir d'une hiérarchisation; que les conscrits finissent, en majorité, par intégrer et justifier ce mode de fonctionnement, convaincus qu'ils sont, comme beaucoup au sein de la société, que l'armée est un lieu par lequel il faut passer pour apprendre à souffrir et construire son identité, sa maturité, sa virilité. A partir des nombreux témoignages, on aperçoit ainsi un peu de ce qui fait la vie du conscrit, un enfer, dans une institution militaire qui ne sert apparemment à rien tant, semble-t-il, la vie y est ennuyante et assommante. Le citoyen turc y passe pour payer sa dette à l'Etat, comme certains se plaisent à le dire, et finit par apprendre, à coups de bastonnades et de vexations, à devenir l'homme viril et responsable de la famille et de la patrie. Le propos n'est pas à contester. Ce qui l'est, en revanche, c'est le procédé. Pınar Selek, dans ce livre, ne fait rien d'autre qu’enchaîner les témoignages. Ils ont leurs intérêts, bien sûre, mais ils ne peuvent malheureusement suffire à faire le travail qui se veut sociologique. Or, où est la sociologie dans ce livre? Où est la matière intellectuelle? La démarche "scientifique"? La construction de l'argumentation? Comment parvient-elle à répondre à une de ses questions de départ qui surgit au lendemain de la mort de Hrant Dink et qui l'amène à s'interroger sur ce "système qui insidieusement transforme un bébé en assassin" (p. 29)? Elle interroge la construction de la "virilité" au sein de la société turque, l'image qui en est faite et le processus d'apprentissage de la "masculinité", bien, mais pourquoi avoir choisi l'armée comme laboratoire quand il existe d'autres institutions (familles, écoles... etc) influentes dans la construction de la "masculinité"? Pourquoi pas, me dira-t-on? Bien sûre mais ce n'est pas aussi simple. Qui a mené ou mène une recherche en sciences sociales sait que le chercheur(e) doit justifier ses choix, théoriques et méthodologiques; qu'il doit expliquer la raison d'être de son objet d'étude et de sa problématique. Rien de bien convaincant ici. Pınar Selek explique mais la construction de son projet est défaillante, pas solide. A quelle question de départ, quelle problématique répond-t-elle précisément? "Comment un bébé se transforme-t-il en assassin?", "comment les hommes deviennent hommes en Turquie (p.32)"?, "quel est le rôle du service militaire dans la construction de la masculinité?" (p.32) ? Vous concevrez qu'il ne s'agit jamais de la même question et qu'elle doit, si elle voit un lien entre chacune d'elle, nous l'expliquer avec précision. En l'absence de toute explication, on s'interroge forcément sur la construction de son argumentation qui, je dois le dire, perd beaucoup, dans ce livre, en efficacité et en pertinence. L'ouvrage rassemble sous le même toit des témoignages qui peuvent susciter l'intérêt mais on en reste là. Il n'est pas le travail de recherche abouti qu'on pourrait attendre d'une chercheuse en sociologie. Dommage. Tant pis.
Service militaire en Turquie et construction de la classe de sexe dominant, Pınar Selek, L'Harmattan, 218p, 23€
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