Je ne pouvais passer à côté de ce témoignage. Kurde d'origine, j'ai suivi la lutte des forces kurdes contre les intégristes musulmans en Syrie, j'ai été alarmée par l'avancée rapide et instantanée de Daech au Kurdistan, j'ai été horrifiée par le sort des Kurdes yezidis, j'ai été meurtrie par ces histoires de femmes et d'enfants capturées, vendues et violées. J'ai regardé, de là où j'étais, assise dans un fauteuil douillet, mon peuple encore une fois se faire massacrer, attaquer.
Moi qui pensais que les Kurdes ne connaîtraient plus jamais les horreurs du passé - persuadée qu'ils avaient survécu en silence et loin des regards aux crimes les plus atroces, moi qui pensais à un avenir plus heureux - persuadée qu'au pire succédait toujours le mieux, j'ai été frappée par la dure et triste réalité: les Kurdes sont encore une fois confrontés à l'horreur qui les avait un peu oubliés. Un peu oubliés, oui, car si le sort des Kurdes, avant l'arrivée de Daech, n'était pas à envier - toujours confrontés à la dure répression des autorités et incapables de vivre dans la pleine jouissance de leurs droits et libertés - ils vivaient mieux que par le passé. Mais voilà que la monstruosité de l'humanité vient, de nouveau, les frapper. Et on se dit alors que les Kurdes n'auront jamais le droit de respirer. A chaque souffle, chaque respiration, à chaque relèvement de tête, les Kurdes doivent payer le prix: leur sang doit couler. Plus d'un siècle de luttes et de combats acharnés contre les autorités turques, iraniennes, irakiennes et syriennes pour obtenir un peu de liberté et vivre librement de son identité mais rien n'y fait. Il faut encore lutter contre des ennemis toujours plus féroces et impitoyables dans cette région d'une grande instabilité. Que croyez-vous que l'on ressente? De la colère qui va parfois friser la haine, de la tristesse, du désarroi, du pessimisme, du désespoir. Fatiguée d'entendre des "experts" raconter des stupidités sur les Kurdes, lasse de voir les politiques "agir" quand il en va seulement de leurs intérêts, épuisée par le travail plus que pitoyable des journalistes longtemps - pour ne pas dire toujours - restés sous silence, j'ai fini, très jeune, par abandonner tout espoir, par ne plus croire aux déclarations des institutions nationales, internationales, gouvernementales, médiatiques. Très vite, j'ai appris en effet que les intérêts qui guidaient ce monde n'étaient pas de ceux que l'on avouait. Quand Kobané a été attaqué, je n'attendais donc rien des pays étrangers. Ils sont finalement venus aider. Par les frappes aériennes, ils ont apporté le soutien qui manquait aux Kurdes mais faut-il les en remercier? Certainement pas. Dans le sort du peuple kurde, ils ont une très lourde responsabilité. Et s'ils viennent à l'aider, c'est toujours pour sauvegarder leurs intérêts et exiger une contrepartie. La solidarité, on le sait, a un prix à payer.
En lisant le témoignage réussi de Patrice Franceschi, j'ai vécu sous le coup des émotions. Tantôt en colère, tantôt triste, tantôt fière et pleine d'espoir, tantôt pessimiste et inquiète. Je me suis énervée contre l'Histoire et ses effets, contre la stupidité tragique de l'humanité, contre toutes celles et ceux qui n’avancent qu'en fonction de leurs intérêts politiques et économiques, contre la triste réalité de notre monde, contre les partis politiques kurdes incapables de faire l'unité. J'ai pleuré pour les Kurdes, pour cet ancien combattant qui, jusqu'à sa mort, gardait dans sa poche un morceau de pain, reste de son triste passé. J'ai sangloté parce que je suis une privilégiée que ses parents ont su protéger de la misère, de la guerre et de la pauvreté en s'enfuyant dans un pays étranger. La culpabilité mine toujours mon esprit. Je me sens coupable, comme d'autres, de vivre dans la paix quand les miens ailleurs luttent sans rechigner. Que faire? Comment les aider? Je suis coupable de ma passivité, de mon incapacité à penser une action sur le monde.
La douleur ressentie pendant la lecture a laissé place quelque fois à une immense fierté. Je suis fière, en effet, de ces Kurdes qui face à Daech défendent leur projet politique, exigent une démocratie laïque, respectueuse des minorités, de la diversité et de l'égalité entre les hommes et les femmes. Je suis fière de leur combativité, de leur sens du sacrifice, de leur foi en leur combat mais ai-je le droit de ressentir cette fierté? Qu'avons nous de commun en dehors de l'identité? Je ne suis pas de celles qui luttent et qui sacrifient sa vie pour le peuple et la patrie, je suis de celles qui s'intéressent à leurs causes et leurs combats, qui veulent voir venir leur succès mais à part ça? Ma fierté est toujours triste parce que je ne fais rien pour la mériter, parce que leur projet politique, pour exister, fait couler leur sang et celui de tous ces gens innocents qui n'ont que peu de moyens pour se défendre. Dois-je enfin vous écrire mon inquiétude? Inquiète, je le suis. Que va-t-il se passer quand les Kurdes auront obtenu ce qu'ils ont toujours tant espéré? L'ivresse de la victoire et du pouvoir va-t-elle les gagner au point de les éloigner des idéaux pour lesquels ils ont lutté? Sauront-ils, tant bien que mal, éviter les dérives d'un autoritarisme obligé puisqu'il s'agit d'établir et de protéger une démocratie dans une région et un territoire hostile à leur projet?
La douleur ressentie pendant la lecture a laissé place quelque fois à une immense fierté. Je suis fière, en effet, de ces Kurdes qui face à Daech défendent leur projet politique, exigent une démocratie laïque, respectueuse des minorités, de la diversité et de l'égalité entre les hommes et les femmes. Je suis fière de leur combativité, de leur sens du sacrifice, de leur foi en leur combat mais ai-je le droit de ressentir cette fierté? Qu'avons nous de commun en dehors de l'identité? Je ne suis pas de celles qui luttent et qui sacrifient sa vie pour le peuple et la patrie, je suis de celles qui s'intéressent à leurs causes et leurs combats, qui veulent voir venir leur succès mais à part ça? Ma fierté est toujours triste parce que je ne fais rien pour la mériter, parce que leur projet politique, pour exister, fait couler leur sang et celui de tous ces gens innocents qui n'ont que peu de moyens pour se défendre. Dois-je enfin vous écrire mon inquiétude? Inquiète, je le suis. Que va-t-il se passer quand les Kurdes auront obtenu ce qu'ils ont toujours tant espéré? L'ivresse de la victoire et du pouvoir va-t-elle les gagner au point de les éloigner des idéaux pour lesquels ils ont lutté? Sauront-ils, tant bien que mal, éviter les dérives d'un autoritarisme obligé puisqu'il s'agit d'établir et de protéger une démocratie dans une région et un territoire hostile à leur projet?
Le témoignage de Patrice Franceschi, vous l'aurez compris, m'a émue par bien des aspects. Il m'a secouée, chamboulée parce que l'auteur connait. Il sait l'histoire des Kurdes, leurs luttes, leur combat, leurs problèmes, leurs difficultés. Il sait les problèmes internes et externes à la société kurde. Et parce qu'il sait, son témoignage gagne en respect et crédibilité. Certain(e)s pourraient contester sa "partialité". Je ne le ferai pas. Il a choisi son camp. Il soutient les Kurdes, on le sait. Mais il n'est pas aveugle. Il sait que les Kurdes devront, dans le cas d'une éventuelle victoire, avancer avec prudence et intelligence pour ne pas perdre le contrôle et tuer à petit feu leur projet révolutionnaire. Il suffit de se pencher sur l'Histoire pour percevoir les dangers qui courent après une Révolution. Les dirigeants kurdes en sont conscients. Ils savent les risques qu'ils encourent, les difficultés auxquelles ils sont et seront confrontés. Et il faudra les aider à les surmonter parce que tous nous savons qu'un projet politique, surtout quand il est de type révolutionnaire, ne se construit pas sans obstacles ni contrariétés. L'Histoire et la Vie nous ont maintes fois prouvé l'existence de la complexité, en tout point et en toute chose. A tous ces "experts" qui écrivent perchés sur leur bureau sans jamais avoir connu le terrain et qui se promènent de plateau en plateau pour dire que le P.K.K et le P.Y.D sont des organisations autoritaires voire totalitaires pour mieux les dénoncer, je citerai donc Patrice Franceschi qui écrit au mieux ce que j'ai toujours pensé:
"On reproche souvent son autoritarisme au principal parti Kurde, le P.Y.D, fédérateur de ce mouvement d'unité. On se méfie aussi de son affiliation au P.K.K d'origine marxiste. Mais c'est une guerre totale que le P.Y.D doit gérer. Une guerre de survie. Les atermoiements ne peuvent être de mise en cet instant, non plus que les facteurs de division. C'est cette unité, même imposée parfois, qui a fait la victoire de Kobané. Nombre d'Arabes, de chrétiens ou d'Arméniens combattent dans les troupes kurdes parce que cette unité existe. Sans cela, ils auraient tous connu le même délitement mortifère que l'Armée syrienne libre." (p.139)
Patrice Franceschi est loin de la frilosité et je l'en remercie sincèrement et profondément. Merci à lui de défendre sans sourciller les Kurdes, merci d'écrire leur lutte et leur combat qui ne se fait pas sans doute ni incertitude. Les organisations kurdes croient en la légitimité de leur combat, défendent les idéaux qui sont ceux a priori des "occidentaux" mais ils savent la difficulté de leur tâche dans une région qui ne se nourrit pas de l'idéal démocratique. Ils s'arment donc en conséquence parce qu'ils ont digéré la leçon apprise à leur dépens: la guerre impose ses lois et ce n'est pas en jouant aux bisounours qu'on la gagne. Celles et ceux qui ne l'ont pas compris sont prié(e)s de se rendre sur le terrain pour parler d'un autre lieu que celui de leur fion, excusez ma vulgarité, et/ou doivent lire avec attention Nelson Mendela qui disait avec une malheureuse lucidité:
"Un combattant de la liberté apprend de façon brutale que c'est l'oppresseur qui définit la nature de la lutte, et il ne reste souvent à l'opprimé d'autres recours que d'utiliser les méthodes qui reflètent celles de l'oppresseur." (MANDELA, Nelson, Un long chemin vers la liberté, Le livre de poche, p. 203)
Les Kurdes savent ce qu'il en est:
"Les islamistes nous mettent une pression considérable et seule cette unité nous sauvera. Concilier cette unité avec la démocratie est un défi en tant de guerre, il ne faut pas se faire d'illusions. Mais nous sommes attentifs à ne pas perdre sur ce terrain." Aldar Khalil, membre du P.Y.D. (p.94)
Il y a tant de choses à dire, tant de choses à exprimer, à dénoncer mais j'en resterai là. Merci à Patrice Franceschi pour son témoignage et sa solidarité. Merci sincèrement.
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