Mon compagnon me l'avait dit: je n'apprendrai rien dans cet essai. Et il avait bien raison puisque ce livre ne m'a rien apporté. Gérard Chaliand ne fait qu'y résumer l'histoire du Kurdistan; ce qui n'a d'intérêt qu'à l'égard de celles et ceux qui ne la connaissent pas. Moi, la sachant déjà, je me suis amusée à noter les incohérences de l'auteur; ses "petites" contradictions qui m'ont quelque peu agacée. Et elles concernent le PKK pour qui, vraisemblablement, Gérard Chaliand n'a pas trop de sympathie. L'auteur juge l'organisation kurde violente, prompt à la coercition sinon l'assassinat (p.84). Il la définit comme sectaire et autoritaire, la considère comme potentiellement tyrannique, l'expérience montrant que les mouvements "qui produisent une radicalisation idéologique extrême impliquant le sacrifice de machines de guerres humaines d'une très redoutable efficacité tendent, lorsqu'ils ont la chance d'accéder au pouvoir à se comporter comme des tyrannies" (p.86). Je n'aurais pas contesté le propos si Gérard Chaliand ne se contredisait pas dans son essai. Allons-y:
- il fustige le PKK, lui colle une étiquette négative mais ne dit mot s'agissant de l'UPK et du PDK qui ne sont pourtant pas mieux. Si le PKK doit être considéré comme un parti sectaire, autoritaire parce qu'il élimine ses opposants, que doit-on dire de l'UPK et du PDK? Gérard Chaliand écrit la lutte qui les oppose, la guerre qu'ils se sont menés mais ne pense pas leur définition. Il ne les qualifie pas, ne les dénonce pas. Pourtant, l'élimination des opposants et des rivaux parmi les Kurdes est une pratique antérieure au PKK, le PDK le pratiquant dès le début de sa création. La cohérence et l'honnêteté intellectuelle voudrait qu'ils soient tous logés à la même enseigne, tous considérés comme des partis autoritaires prompts à la "coercition sinon l'assassinat". Dans le cas contraire, il y a un deux poids deux mesures qui ne peut qu'interroger.
- l'esprit de sacrifice imposé par le PKK participe à la définition négative de l'organisation kurde (p.84). Pourtant - je note l'incohérence - Gérard Chaliand écrit, p.129, que "Ce qui compte, dans une armée, est moins son armement que sa volonté de combattre", l'auteur se désolant de l'attitude des Peshmergas (nom attribué aux combattants kurdes du PDK et de l'UPK, il désigne littéralement ceux "qui vont au devant de la mort") qui ont fuit devant Daech. Le PKK ne disposant pas d'armement de qualité, il souffle à ses combattant(e)s une énergie, une volonté qui va, en effet, jusqu'au sacrifice; ce dont était aussi armé les Peshmergas par le passé et que voudrait aujourd'hui retrouver Gérard Chaliand. Si le sens du sacrifice fait de l'organisation qui la nourrit un mouvement autoritaire, sectaire, à potentiel tyrannique etc... pourquoi la souhaiter et l'appeler de ses voeux? Pourquoi applaudir et citer en exemple les forces armées kurdes (le YPG, bras droit du PKK en Syrie) qui ont combattu Daech à Kobané? Ils n'avaient, pour arme efficace contre Daech, que le sens du sacrifice imposé par le PKK.
- il s'inquiète du potentiel tyrannique du PKK qui pourrait, une fois au pouvoir, exercer son autorité sans considération aucune pour la démocratie. L'inquiétude, signe de prudence, est tout à fait légitime mais elle perd en efficacité lorsqu'elle est contredite par les faits qu'il énonce. A propos du Rojava (Kurdistan dit syrien), Gérard Chaliand écrit: "De toute évidence, il s'agit bien d'un mouvement kurde qui cherche à se constituer des ouvertures avec certaines composantes non kurdes des cantons, qu'il s'agisse des chrétiens, notamment syriaques, ou d'autres minorités religieuses et/ou ethniques: l'un des vice-présidents du canton de Qamishli est un Shammar, l'une des plus puissantes tribus arabes du Proche-Orient. Dans la pratique, en l'espace de deux années a été instituée l'armature étatique d'une entité qui fonctionne de façon disciplinée. Il y a dans le canton de Qamishli, une Chambre des députés, un Parlement, des ministères, etc. Il s'agit de gens indéniablement compétents et motivés. (...) Un gros travail est mené pour que la participation des jeunes femmes, et des moins jeunes, soit aussi effective que possible." (p. 144-145). Autrement dit, il vante la gestion du Rojava par le PYD, extension du PKK en Syrie. C'est le programme du PKK qui y est appliqué. Où est donc la tyrannie?
Ces incohérences m'ont agacées parce qu'elles sont toujours les mêmes; parce qu'il s'agit toujours, pour certains, de poser l'étiquette "autoritaire, sectaire, à potentiel tyrannique" quand il s'agit du PKK et de les oublier quand il est question d'autres partis kurdes tels que le PDK et l'UPK qui utilisent pourtant les mêmes méthodes; parce que les mêmes n'ont pas de mal à considérer le PKK comme une organisation à potentielle anti-démocratique tout en vantant les mérites du PYD, au Kurdistan de Syrie, et du HDP (parti politique légal) au Kurdistan de Turquie; tous deux étant fortement liés au PKK et qui ne sont pas, à ma connaissance, connus pour être tyranniques. Enfin et pour finir, ils craignent l'exercice du pouvoir par une organisation politico-militaire mais applaudissent le PDK et l'UPK qui ne peuvent être définis autrement. Il faudra qu'on m'explique pourquoi ils craignent davantage le PKK.
Au delà de ces quelques incohérences, je dois dire un mot sur la conclusion de l'auteur qui me semble quelque peu superficiel et inefficace. Gérard Chaliand rejette l'idée d'une modification des frontières au Moyen-Orient parce qu'il a une préférence pour le vivre-ensemble (p. 151). C'est un idéal que beaucoup aimerait voir arriver (dont le PKK qui fait pourtant l'objet de la raillerie de l'auteur) mais toute la question est de savoir comment organiser ce "vivre-ensemble" dans une région aussi ethnicisée, confessionnalisée où les uns ne veulent pas des autres. Si Gérard Chaliand a des solutions, il aurait dû les expliquer. Son essai aurait été moins bâclé.
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