Lahkdar nous écrit. Il nous raconte une période de sa vie. Elle est triste, dramatique, chaotique et en même temps dynamique et énergique. Fuyant la honte qui le poursuit chez lui - son père le découvre au lit avec Meryem, sa cousine - le jeune homme, d'origine marocaine, commence l'errance et fait l'expérience malheureuse d'une vie isolée. Il se cherche, essaye de se trouver. Comment y parvenir dans une société et un monde qui l'a déjà condamné? Les traditions l'étouffent, elles empêchent et condamnent ses désirs d'adolescent. Et que peut-il espérer dans un monde qui le prive d'une place où il aurait pu librement se réaliser? Le jeune homme, lucide, ne désespère pas. Il continue d'avancer en espérant un jour pouvoir vivre en toute liberté.
Sur son chemin, il rencontre tout ce qui fait le malheur d'une vie: la misère, la pauvreté, la violence, la décadence, l'injustice. Il aperçoit aussi le terrorisme à prétendu caractère religieux, son emprise et son influence. Il découvre, bien plus heureux, l'Amour et ses humeurs- tantôt euphoriques, tantôt tragiques. Le jeune adolescent apprend. Il apprend à grandir, loin de sa famille, loin de son foyer. Attendrissant, il tente de construite, comme il peu, avec ses maigres moyens, la vie qu'il espère tant.
Ce roman raconte une jeunesse désespérée. Une jeunesse condamnée à l'errance par une société étouffante qui ne leur reconnait aucun espace de liberté. En privé comme en public, ces jeunes sont tenus par des règles que l'âge adolescent peine à respecter. Ils respectent tout de même, par contrainte et par peur. Mais - doit on comprendre dans ce roman - leur vie est marquée par une éternelle frustration. Frustrés de ne pas vivre leurs désirs, de ne pas pouvoir se réaliser, de ne pas disposer d'une liberté, ils pensent alors à la fuite - dans l'eldorado "occidental" de plus en plus fermé - ou à la lutte au sein d'un autre monde hermétique - dit islamique - qui leur offre en effet tous les conforts jusque-là espérés. De sa plume directe, énergique et bien cocasse, ce roman écrit ainsi la vie dramatique d'une génération tiraillée entre "tradition" et "modernité", la "modernité" étant toujours liée à l' "Occident" qui gagne, par effet de mondialisation, en visibilité et donc en attirance. Une modernité qui peut aussi finir par devenir l'objet d'une haine démesurée et acharnée comme il l'a été précisé.
L'auteur, Mathias Enard, n'offre donc, dans ce roman, que peu d'alternatives à ses personnages que l'on pourrait, par ailleurs, définir comme des véritables frustrés sexuels. C'est là que je situe le bémol: une trop grande place est faite à la sexualité bridée qui serait - en ai-je eu l'impression - la cause première de tous les maux. Mais me dira-t-on Rue des voleurs n'est qu'un roman, il peut donc écrire et dessiner ses personnages comme il l'entend. C'est vrai ... il n'est ni un essai, ni une oeuvre sociologique. Il est une histoire qui se termine mal et, malheureusement pour moi, assez vite, n'ayant pas totalement compris le dernier geste. Lahkdar aurait pu me l'expliquer comme il sait si bien le faire, lui dont la plume s'est révélée être, au fil des pages, brillante, vivante et bien croustillante.
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