L'esprit change-t-il? Au fil du temps, le raisonnement connait-il son progrès? Parvient-il à se débarrasser de ce qui, hier, l'a malmené? A voir les affrontements faussement intellectuels sur les plateaux télé, à entendre les penseurs (Zemmour et compagnie) affirmer leurs vérités vraies, à lire le contenu du travail journalistique et politique, on se dit parfois que rien ne change ou, pour être exacte, très peu de choses changent. C'est ainsi que l'on continue à se désigner, pour exister, des ennemis, intérieurs et extérieurs. C'est ainsi que l'Autre, posé et affirmé, est toujours pris au piège dans une définition qu'il n'a pas souhaité. Les minorités (au sens politique du terme), quelles qu'elles soient, souffrent toujours du regard orienté de la majorité qui se pense toujours dans l'exactitude et la vérité. Le Noir était un animal sans droit qui méritait la vente aux enchères, le Juif était un être perfide et rusé responsable de tous les maux de la société et, aujourd'hui, ce sont les Arabes qui sont considérés: ils sont des terroristes islamistes aux coutumes barbares et arriérées, loin des Lumières et des idées brillantes qui font la République éclairée.
L'Homme a besoin de se représenter. Il a besoin de définir et d'imaginer. Malheureusement, il pense toujours à côté de ce qui est, voulant simplement voir ce qui est de son intérêt. Comme l'écrit Edward W. Said, les représentations ont des fins, elles fonctionnent la plupart du temps, elles accomplissent une tâche ou de nombreuses tâches. Les représentations sont des formations, ou, comme l'a dit Roland Barthes de toutes les opérations du langage, elles sont des déformations (p. 455). Elles déforment, en effet. Même, elles inventent et créent, affirmant ensuite le travail de l'imaginaire comme une vérité incontestée. C'est ce que dénonce Edward W. Said dans cet essai d'un grand intérêt.
En écrivant sur l'Orientalisme - courant littéraire et artistique du XIXème siècle qu'il définit comme une véritable doctrine politique censée nourrir la supériorité de l' "Occident" - Edward W. Said montre comment le colonialisme s'est accompagné d'un intérêt intellectuel pour les peuples qui habitent les territoires occupés, désormais rangés dans une étiquette orientale sans qu'on sache vraiment ce que signifie les termes qui, depuis, ont l'air de se faire la guerre: l'Orient et l'Occident. Il raconte comment les uns et les autres - universitaires, écrivains, voyageurs- ont pris plaisir à "découvrir" et définir l' "Orient", toujours d'après des qualificatifs négatifs et avilissants. Il explique comment, à coups de généralisations, de catégorisations, d'insuffisances et d'arrogances, les penseurs et intellectuels des puissances impérialistes - les Orientalistes - créent, à leur guise, un discours sur l'Orient qui permet, aux politiques, d'affirmer et de justifier leur supériorité. Un discours favorisé par l'affaiblissement de l' "Orient", son silence obligé les ayant en effet autorisés à penser comme vraies leurs conneries assumées. Aujourd'hui, les représentations faussées et erronées, et pourtant toujours affirmées avec insolence et impertinence, continuent de circuler. Venant de l'Histoire passée, elles polluent le Présent qui, je l'espère, fait le travail nécessaire pour les priver d'un succès assuré dans les prochaines années.
Intéressant dans sa description de l'Orientalisme comme domaine de recherche peu crédible, l'essai pêche néanmoins par son style. Les répétitions et les longueurs alourdissent en effet l'essai qui perd un peu de son efficacité auprès du lecteur quelque peu fatigué, et donc vite lassé.
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